Celui qui n’accompagnait pas Maurice Blanchot était son analyste. Celui-ci l’avait « mis à la tâche, écrivit Blanchot par la suite, en faisant le vide autour de cette tâche et probablement en me laissant croire que la tâche saurait limiter et circonscrire le vide. » Le narrateur du livre (M. Blanchot, « Celui qui ne m’accompagnait pas », Gallimard, 1953) passe par un détournement, il se crée une illusion qui lui sert de ne pas voir la modification de son discours où « tache » eu été remplacé par vie. Il parle. En vie, il parle vie, il réunit vie et instant et garde l’illusion comme un pouvoir acquis.
Si, je ne me trompe pas, il semblerait que l’analyste que Maurice Blanchot ne nomme pas serait Jacques Lacan. En tout cas, le livre témoigne d’une rencontre singulière et ouvre un voile sur sur le travail analytique. D’ailleurs, je ne suis pas très sûr que l’écriture aussi dense de Blanchot vise ce genre d’ouverture. Ce peut-être moi qui en rêve.
Vous ne vous trompez pas chère Valère et pourtant, comme vous le précisez, cette rencontre est bien singulière. En effet, la relation personnelle entre ces deux hommes, pratiquement du même âge (Lacan est né en 1901, Blanchot en 1907), même en y supposant l’entremise de Georges Bataille et de Sylvia, n’a pas dû être très étroite.
Même dans les années de triomphe du marxisme, de l’existentialisme, de la phénoménologie, une commune admiration pour Mallarmé et pour Heidegger surtout n’aurait sans doute pas suffi à faire lien entre ces deux-là, que des vocations trop différentes animaient : la psychanalyse, expérience orale, étant à priori trop étrangère à l’être « de pures lettres » qu’a voulu être Maurice Blanchot. N’oublions pas que ce que Lacan a visé, le nommant d’abord « sujet », et plus tard « parlêtre », est bien différent de ce qu’on pourrait appeler le « littérêtre » de Maurice Blanchot. Entre eux, il y eu toujours un décalage, Lacan ne citant dans ses séminaires que des œuvres vieilles de dix ou vingt ans, Blanchot, par profession, plus à l’heure de l’édition, passant en revue des textes plus récents mais avec la distance du penseur et de l’écrivain…. Étrange paradoxe donc, que ces deux pensées qui marchent cote à cote, si l’on peut dire, mais à fronts renversés, puisque Lacan, l’homme de paroles, a quand même publié un volume d’Écrits, alors que Blanchot, l’homme de « lêtre », L’Entretien infini ! Il a donc bien fallu qu’ils finissent par se rapprocher – sciemment ou à leur insu ? – pour ainsi se traverser.